Scene 3.X.
Cyrano, Christian, Roxane.
ROXANE (s’avancant sur le balcon):
C’est vous?
Nous parlions de. . .de. . .d’un. . .
CYRANO:
Baiser! Le mot est doux.
Je ne vois pas pourquoi votre levre ne l’ose;
S’il la brule deja, que sera-ce la chose?
Ne vous en faites pas un epouvantement:
N’avez-vous pas tantot, presque insensiblement,
Quitte le badinage et glisse sans alarmes
Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes!
Glissez encore un peu d’insensible facon:
Des larmes au baiser il n’y a qu’un frisson!
ROXANE:
Taisez-vous!
CYRANO:
Un baiser, mais a tout prendre, qu’est-ce?
Un serment fait d’un peu plus pres, une promesse
Plus precise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer;
C’est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille,
Une communion ayant un gout de fleur,
Une facon d’un peu se respirer le coeur,
Et d’un peu se gouter, au bord des levres, l’ame!
ROXANE:
Taisez-vous!
CYRANO:
Un baiser, c’est si noble, Madame,
Que la reine de France, au plus heureux des lords,
En a laisse prendre un, la reine meme!
ROXANE:
Alors!
CYRANO (s’exaltant):
J’eus comme Buckingham des souffrances muettes,
J’adore comme lui la reine que vous etes,
Comme lui je suis triste et fidele. . .
ROXANE:
Et tu es
Beau comme lui!
CYRANO (a part, degrise):
C’est vrai, je suis beau, j’oubliais!
ROXANE:
Eh bien! montez cueillir cette fleur sans pareille. . .
CYRANO (poussant Christian vers le balcon):
Monte!
ROXANE:
Ce gout de coeur. . .
CYRANO:
Monte!
ROXANE:
Ce bruit d’abeille. . .
CYRANO:
Monte!
CHRISTIAN (hesitant):
Mais il me semble, a present, que c’est mal!
ROXANE:
Cet instant d’infini!. . .
CYRANO (le poussant):
Monte donc, animal!
(Christian s’elance, et par le banc, le feuillage, les piliers, atteint les balustres qu’il enjambe.)
CHRISTIAN:
Ah, Roxane!
(Il l’enlace et se penche sur ses levres.)
CYRANO:
Aie! au coeur, quel pincement bizarre!
—Baiser, festin d’amour dont je suis le Lazare!
Il me vient dans cette ombre une miette de toi,—
Mais oui, je sens un peu mon coeur qui te recoit,
Puisque sur cette levre ou Roxane se leurre
Elle baise les mots que j’ai dits tout a l’heure! (On entend les theorbes):
Un air triste, un air gai: le capucin! (Il feint de courir comme s’il arrivait de loin, et d’une voix claire):
Hola!
ROXANE:
Qu’est ce?
CYRANO:
Moi. Je passais. . .Christian est encor la?
CHRISTIAN (tres etonne):
Tiens Cyrano!
ROXANE:
Bonjour, cousin!
CYRANO:
Bonjour, cousine!
ROXANE:
Je descends!
(Elle disparait dans la maison. Au fond rentre le capucin.)
CHRISTIAN (l’apercevant):
Oh! encor!
(Il suit Roxane.)