L’etourdi

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Author: Molière

Scene Premiere. - Lelie, Deguise En Armenien ; Mascarille.

- Mascarille -

Vous voila fagote d’une plaisante sorte.

- Lelie -

Tu ranimes par la mon esperance morte.

- Mascarille -

Toujours de ma colere on me voit revenir ; J’ai beau jurer, pester, je ne m’en puis tenir.

- Lelie -

Aussi crois, si jamais je suis dans la puissance, Que tu seras content de ma reconnaissance, Et que quand je n’aurais qu’un seul morceau de pain...

- Mascarille -

Baste ! songez a vous dans ce nouveau dessein. Au moins, si l’on vous voit commettre une sottise, Vous n’imputerez plus l’erreur a la surprise ; Votre role en ce jeu par coeur doit etre su.

- Lelie -

Mais comment Trufaldin chez lui t’a-t-il recu ?

- Mascarille -

D’un zele simule j’ai bride le bon sire (23) ; Avec empressement je suis venu lui dire, S’il ne songeait a lui, que l’on le surprendroit ; Que l’on couchait en joue, et de plus d’un endroit, Celle dont il a vu qu’une lettre en avance Avait si faussement divulgue la naissance ; Qu’on avait bien voulu m’y meler quelque peu ; Mais que j’avais tire mon epingle du jeu, Et que, touche d’ardeur pour ce qui le regarde, Je venais l’avertir de se donner de garde. De la, moralisant, j’ai fait de grands discours Sur les fourbes qu’on voit ici-bas tous les jours ; Que pour moi, las du monde et de sa vie infame, Je voulais travailler au salut de mon ame, A m’eloigner du trouble, et pouvoir longuement Pres de quelque honnete homme etre paisiblement ; Que, s’il le trouvait bon, je n’aurais d’autre envie Que de passer chez lui le reste de ma vie ; Et que meme a tel point il m’avait su ravir, Que, sans lui demander gages pour le servir, Je mettrais en ses mains, que je tenais certaines, Quelque bien de mon pere, et le fruit de mes peines, Dont, avenant que Dieu de ce monde m’otat, J’entendais tout de bon que lui seul heritat. C’etait le vrai moyen d’acquerir sa tendresse. Et comme, pour resoudre avec votre maitresse Des biais qu’on doit prendre a terminer vos voeux, Je voulais en secret vous aboucher tous deux, Lui-meme a su m’ouvrir une voie assez belle, De pouvoir hautement vous loger avec elle, Venant m’entretenir d’un fils prive du jour, Dont cette nuit en songe il a vu le retour. A ce propos, voici l’histoire qu’il m’a dite, Et sur quoi j’ai tantot notre fourbe construite.

- Lelie -

C’est assez, je sais tout : tu me l’as dit deux fois.

- Mascarille -

Oui, oui ; mais quand j’aurais passe jusques a trois, Peut-etre encor qu’avec toute sa suffisance, Votre esprit manquera dans quelque circonstance.

- Lelie -

Mais a tant differer je me fais de l’effort.

- Mascarille -

Ah ! de peur de tomber, ne courons pas si fort ! Voyez-vous ? vous avez la caboche un peu dure ; Rendez-vous affermi dessus cette aventure. Autrefois Trufaldin de Naples est sorti, Et s’appelait alors Zanobio Ruberti ; Un parti qui causa quelque emeute civile, Dont il fut seulement soupconne dans sa ville (De fait il n’est pas homme a troubler un Etat), L’obligea d’en sortir une nuit sans eclat. Une fille fort jeune, et sa femme, laissees, A quelque temps de la se trouvant trepassees, Il en eut la nouvelle ; et dans ce grand ennui, Voulant dans quelque ville emmener avec lui, Outre ses biens, l’espoir qui restait de sa race, Un sien fils, ecolier, qui se nommait Horace, Il ecrit a Bologne, ou, pour mieux etre instruit, Un certain maitre Albert, jeune, l’avait conduit ; Mais, pour se joindre tous, le rendez-vous qu’il donne Durant deux ans entiers ne lui fit voir personne : Si bien que, les jugeant morts apres ce temps-la, Il vint en cette ville, et prit le nom qu’il a, Sans que de cet Albert, ni de ce fils Horace, Douze ans aient decouvert jamais la moindre trace. Voila l’histoire en gros, redite seulement Afin de vous servir ici de fondement. Maintenant vous serez un marchand d’Armenie, Qui les aurez vus sains l’un et l’autre en Turquie. Si j’ai, plutot qu’aucun, un tel moyen trouve, Pour les ressusciter sur ce qu’il a reve, C’est qu’en fait d’aventure il est tres ordinaire De voir gens pris sur mer par quelque Turc corsaire, Puis etre a leur famille a point nomme rendus, Apres quinze ou vingt ans qu’on les a crus perdus. Pour moi, j’ai vu deja cent contes de la sorte. Sans nous alambiquer, servons-nous-en ; qu’importe ? Vous leur aurez oui leur disgrace conter, Et leur aurez fourni de quoi se racheter ; Mais que, parti plus tot pour chose necessaire, Horace vous chargea de voir ici son pere, Dont il a su le sort, et chez qui vous devez Attendre quelques jours qu’ils y soient arrives. Je vous ai fait tantot des lecons etendues.

- Lelie -

Ces repetitions ne sont que superflues ; Des l’abord mon esprit a compris tout le fait.

- Mascarille -

Je m’en vais la dedans donner le premier trait.

- Lelie -

Ecoute, Mascarille, un seul point me chagrine. S’il allait de son fils me demander la mine ?

- Mascarille -

Belle difficulte ! Devez-vous pas savoir Qu’il etait fort petit alors qu’il l’a pu voir ? Et puis, outre cela, le temps et l’esclavage Pourraient-ils pas avoir change tout son visage ?

- Lelie -

Il est vrai. Mais dis-moi, s’il connait qu’il m’a vu, Que faire ?

- Mascarille -

De memoire etes-vous depourvu ? Nous avons dit tantot qu’outre que votre image N’avait dans son esprit pu faire qu’un passage, Pour ne vous avoir vu que durant un moment, Et le poil et l’habit deguisaient grandement.

- Lelie -

Fort bien. Mais a propos, cet endroit de Turquie...

- Mascarille -

Tout, vous dis-je, est egal, Turquie ou Barbarie.

- Lelie -

Mais le nom de la ville ou j’aurai pu les voir ?

- Mascarille -

Tunis. Il me tiendra, je crois, jusques au soir. La repetition, dit-il, est inutile, Et j’ai deja nomme douze fois cette ville.

- Lelie -

Va, va-t’en commencer, il ne me faut plus rien.

- Mascarille -

Au moins soyez prudent, et vous conduisez bien ; Ne donnez point ici de l’imaginative.

- Lelie -

Laisse-moi gouverner. Que ton ame est craintive !

- Mascarille -

Horace dans Bologne ecolier ; Trufaldin, Zanobio Ruberti, dans Naples citadin ; Le precepteur Albert...

- Lelie -

Ah ! C’est me faire honte Que de me tant precher ! Suis-je un sot a ton compte ?

- Mascarille -

Non pas du tout ; mais bien quelque chose approchant.

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Harvard: Molière, 'Scene Premiere. - Lelie, Deguise En Armenien ; Mascarille.' in L’etourdi. cited in , L’etourdi. Original Sources, retrieved 26 April 2024, from http://www.originalsources.com/Document.aspx?DocID=GE7LKVICDMRBXJM.